Rabbi Yaacov Tolédano
du Maroc à Villemomble
Les Institutions Merkaz Hatorah sont l’œuvre de vie de Rabbi Yaacov Tolédano zatsal.
Impossible de comprendre l’exceptionnelle personnalité de Rabbi Yaacov Tolédano, zatsal sans auparavant évoquer le souvenir de son père, le gaon Rabbi Rephaël Barouch Tolédano, zatsal. Rabbi Barouch était un génie de la Torah et l’une des figures emblématiques du judaïsme marocain et d’Afrique du Nord. A 18 ans, il avait été nommé Dayan au sein du Beth Din de Meknès au Maroc et à 27 ans il avait succédé à son père rabbi Yaacov, au poste de Av Beth Din et de grand rabbin de Meknès. Issu d’une lignée de 16 générations de Rabbanim, Rabbi Barouch était connu non seulement pour sa sagesse mais aussi pour sa ténacité dans le respect des Mitzvot et pour son refus du moindre compromis dans l’éducation religieuse de ses enfants et de touts les juifs de son pays. Avec son épouse surnommée Ima Rahel, il avait fondé une famille qui baignait dans une ambiance de Torah.
C’est ainsi que naît, le 19 Eloul 5693(10 septembre 1933) Rabbi Yaacov, le « Ben Zekounim », dernier des enfants de Rabbi Barouch et d’Ima Rahel. D’emblée, Rabbi Barouch va veiller à l’éducation Toranique de son jeune fils en le plaçant dans le meilleur talmoud torah de la ville où il se familiarisera avec l’enseignement traditionnel des Rabbanim d’Afrique du Nord.
Mais après sa Bar Mitzva, les options d’un Limoud de haut niveau sont relativement minces à Meknès. Rabbi Barouch refuse catégoriquement que son jeune fils fréquente le lycée qui impliquait forcement le Hilloul Chabat. Alors qu’il s’interroge sur la voie à choisir, une solution inattendue se présente à lui, vers l’approche des années 50, en la personne d’un émissaire anglais, Rav Cohen Lee qui lui parla de la fameuse « Schneider Yéchiva« , fondée à Londres par le gaon, Rav Moché Shneider, zatzal, l’un des élèves du Hafetz Haïm. Rabbi Barouch entreprend alors les démarches nécessaires pour inscrire le jeune Yaacov qui avait alors 16 ans et ses deux petits-fils, Nissim et Michael, à la Schneider Yéchiva. En dépit des critiques de notables juifs qui lui reprochent sa cruauté, Rabbi Barouch accepte le lourd sacrifice de se séparer de son jeune fils et de ses petits fils. C’est ainsi que Rabbi Yaacov arrive après un long périple, dans le Londres d’après-guerre. Il y découvre alors l’étude de la Torah selon la tradition du monde lithuanien ashkénaze, enseignée par des Maîtres de très haut niveau.
Yéchiva de Poniovitz
Très vite, la vivacité d’esprit et la sagesse de Rabbi Yaacov vont se révéler au sein de la Yéchiva du Rav Shneider. En quelques mois, il va apprendre à la fois, l’anglais et le yiddish. En rajoutant à son solide bagage de Torah de Meknès, l’enseignement nouveau des grandes Yéchivot ashkénazes, il va très vite se hisser parmi les plus brillants éléments de la célèbre Institution Londonienne où il passera trois ans. La voie royale vers la Yéchiva de Poniovitz à Bné Brak lui est désormais ouverte. Il y passera trois années supplémentaires. Au cours d’un voyage au Maroc, Rabbi Yaacov fera la connaissance de Michelle Picard, issue d’une famille juive alsacienne qui, elle, avait fait un parcours inverse au sien puisqu’elle était venue au Maroc pour encourager les jeunes filles juives marocaines à se renforcer en Torah et pour y fonder le séminaire de Tanger. Impressionné par cette jeune fille, Rabbi Barouch avait souhaité qu’elle soit l’épouse de son dernier fils. Ce qui se passa en effet.
Rabbi Yaacov Tolédano le « ari sheba’haboura »
le lion du groupe de Gateshead
Après le mariage, le jeune couple décida de s’installer à Gateshead. Et là encore Rabbi Yaacov se distingue très vite au sein du prestigieux Kollel, comme le « lion du groupe » le « ari sheba’haboura ». Il y restera pendant onze années de bonheur et d’étude au cours desquels le génie du Rav jaillira. Rabbi Yaacov ne cache pas alors son rêve: insuffler au monde sépharade la sagesse et la richesse de l’enseignement qu’il a recueilli au sein du monde ashkenaze Lithuanien afin de redonner à celui-ci, les lettres de noblesse qui étaient les siennes à l’époque des Richonim d’Espagne comme le Rif, Rambam, et le Ramban.
Rabbi Yaacov suit de près, l’arrivée massive des juifs d’Algérie, de Tunisie puis ceux du Maroc en France. Il comprend que l’heure est venue d’œuvrer auprès de ces juifs déracinés. Le départ vers la France s’impose.
C’est en 1967, que la famille Tolédano quitte l’environnement orthodoxe de Gateshead et arrive en France. L’objectif premier de Rabbi Yaacov est de créer une Yéchiva Guédola. Paris ne compte à cette époque que plusieurs petits noyaux orthodoxes, comme les communautés de la rue Pavée, de la rue Cadet et de Rachi Schoul. Dans la banlieue, outre la Yéchiva fondée par Rabbénou Guershon Libman ז »ל à Fublaines, c’est le désert le plus total.
Les débuts difficiles à Villemomble
Rabbi Yaacov et son épouse se mettent au travail. Ils trouvent à Villemomble une villa entourée d’un jardin spacieux. Ils s’y installent et pendant le mois d’Iyar 5727, Rabbi Yaacov fait venir de Gateshead, une quinzaine d’élèves sépharades et ashkénazes qui formeront le premier noyau. Très vite, la Yéchiva Merkaz Hatorah va rayonner. Le Dr Elie Temstet et qui fut l’ami, le médecin puis le parent de Rabbi Yaacov relate dans ses Mémoires, l’émotion qui l’avait étreint en voyant avec quelle ferveur Rabbi Yaacov priait lors des fêtes de Roch Hachana de 1967 (5728). Beaucoup d’autres élèves et visiteurs de passage reconnaîtront, plus tard, avoir été marqués par la concentration et l’extrême dévotion de Rabbi Yaacov durant sa Téfila.
Mais au lendemain de la guerre des Six Jours, de nombreux juifs de France y compris des milieux orthodoxes veulent rejoindre la terre d’Israël. Et c’est ainsi que progressivement une partie des cadres de la Yéchiva s’envole vers Jérusalem et Bné Brak.
Petit Historique
1967 : Fondation de la première Yéshiva Guédola par Rabbi Yaacov Toledano, Zatsal
1968 : Ouverture du Primaire
1969 : Ouverture du Collège-Lycée Garçons
1970: Ouverture du Collège-Lycée Filles
1978 : Fondation de la seconde Yéshiva Guédola
1990 : Fondation de la Yéshiva Kétana
Rabbi Yaacov envisage lui aussi de partir en Eretz mais le Gadol Hador Rav Eliezer Mena’hem Sha’h zats »al , Rosh Yéchiva de Poneivitz lui ordonne de rester à Paris: » Mon mari n’avait plus de ‘havrouta ni de סביבה à son niveau, explique la Rabbanit Tolédano, et nous avions donc projeté de nous installer en Eretz Israel. Mais nous avons écouté le rav Cha’h. Ce fut un grand sacrifice pour mon mari« .
Dans une clairvoyance impressionnante, Rabbi Yaacov et la Rabbanit comprennent qu’une page est tournée et qu’une autre s’ouvre. Ils perçoivent que l’option prioritaire, celle qui répond le mieux aux attentes des juifs d’Afrique du Nord et de Paris en général, est la création d’une institution où l’on enseignera le Kodesh mais aussi les matières profanes, à un très haut niveau. C’est ainsi que naissent les écoles Merkaz Hatorah. La première année, l’Ecole (Primaire) n’a que 5 élèves dont 2 enfants du Rav !
Mais peu à peu les meilleures familles Orthodoxes de Paris viendront grossir les rangs de cette nouvelle Institution, qui correspondait à leurs aspirations.
Rabbi Yaacov et la Rabbanit se mobilisent : ils font le tour des banlieues et déposent des prospectus sur l’école dans les boîtes aux lettres des familles juives. Très vite, ce sont 70 jeunes juifs du Raincy et d’autres banlieues qui intègrent l’école ! Le succès est immédiat.
Le Gadol Hador Rav Eliezer Mena’hem Sha’h zats”al,
Rosh Yéchiva de Poneivitz lui ordonne de rester à Paris !
La naissance de Merkaz Hatorah
Avec les écoles de garçons et de filles de Merkaz Hatorah, Rabbi Yaacov va révolutionner l’enseignement juif parisien. Il sera pendant plus d’un quart de siècle l’âme spirituelle de ces Institutions, mais aussi leur pourvoyeur de fonds. Lui qui aurait pu aisément être un Roch Yéchiva adulé en Eretz Israël n’hésitera pas à enseigner le Houmash aux petites classes de Merkaz. Il disait souvent que ses écoles étaient comme des « roses au milieu de ronces« , selon les termes du Cantique des Cantiques. Mais parallèlement il continuait à étudier sans relâche et lorsqu’il découvrait un ‘hidoush dans un chapitre de Guémara, son visage s’illuminait et il n’hésitait pas à danser de joie. Malgré le poids de sa tâche, il ne cessait de se renforcer dans ses midot, dans son effort pour se rapprocher de D.
Sa nostalgie pour l’étude à haut niveau lui donna la force de ré-ouvrir, en 1978, une nouvelle Yechiva Guédola, dans de nouveaux locaux avenue Charles à Gagny. Il nomma cette Yechiva, en l’honneur et en souvenir de son père זצ »ל « Yechivat Hazon Barouh ». Il put à nouveau dispenser de merveilleux Shiourim à de très bons élèves, qui sont devenus pour la majorité des cadres importants du judaïsme Français.
Cette Yechiva se transforma plus tardivement en Yechiva Ketana, laquelle existe et fleurit jusqu’à ce jour.
En 1990, il eut l’énorme courage de réaliser son rêve, une Yechiva Guédola en Eretz Israel à Yerouchalaim. A nouveau il y forma d’excellents disciples, presque tous en poste à des poste clés aujourd’hui dans divers Mekomé Torah.
Le Rav זצ »ל était en constante relation avec son grand Maitre, Rav Schach ז »ל, qui aurait dit un jour “comme je suis heureux que Rabbi Yaacov soit l’un de mes élèves.”
Les deux dernières années de sa vie furent marquées par la maladie et par un affaiblissement progressif. Jamais, malgré la douleur, Rabbi Yaacov n’a renoncé à la moindre Mitzva. Le matin de son décès, il put encore mettre les Tefillin et réciter Aleinou Léchabéa’h avant de rendre son dernier souffle alors qu’il n’avait que 63 ans. Des milliers de personnes l’accompagnèrent vers sa dernière demeure tant au Raincy qu’à Bné Brak où il a été inhumé dans le carré des Guédolim de la Yéchiva de Poneivitz.
Les élèves de Rabbi Yaacov se comptent aujourd’hui par milliers: beaucoup sont devenus des Raché Yéchivot, d’autres enseignent la Torah en Israël et en Diaspora. D’autres encore sont entrés dans la vie active, sans jamais toutefois oublier l’enseignement de leur maître qui consistait à placer la Torah au cœur de leur existence.
Le Rav זצ”ל était en constante relation avec son grand Maitre, Rav Schach ז”ל, qui aurait dit un jour “comme je suis heureux que Rabbi Yaacov soit l’un de mes élèves.”